C’est une histoire de solidarités. Celle du Mouvement Emmaüs face à toutes les formes d’exclusion et de précarité, incarnée par Emmaüs Dunkerque (Nord) et les actions menées depuis plus de 20 ans pour les personnes exilées dans le Calaisis. Celle, aussi, d’autres communautés de France qui, depuis 2014, viennent aider les amis du nord dans ce combat pour tenter d’améliorer les conditions de vie dans les campements, par ailleurs fréquemment détruits par les autorités. Nous étions là quand Emmaüs Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) est venu prêter main forte. Récit.
« Saint-Nazaire, Saint-Nazaire, venez donc voir par ici ! », s’écrie énergiquement Sylvie Desjonquères, responsable de la communauté d’Emmaüs Dunkerque, à la douzaine de personnes qui ont à peine le temps de descendre de leurs camions. Arrivé la veille, ce groupe de bénévoles et de compagnons de la communauté de Saint-Nazaire vient à l’instant de déposer son chargement à une association qui coordonnera les distributions de matériel auprès des personnes exilées, entre Grande-Synthe et Calais. Un balai de convois qui est devenu une habitude ici depuis quelques années, où Sylvie coordonne pratiquement chaque semaine la venue de communautés Emmaüs.
Ces voyages solidaires de communautés jusqu’à Grande-Synthe trouvent leur origine dans un appel lancé par Sylvie en 2014, comme elle le raconte : « La situation était devenue trop difficile et on ne pouvait plus gérer ça tous seuls, avec les compagnes et compagnons qui font un super travail ! Alors je me suis souvenue du 1er février 2014 où toutes les communautés avaient célébré les 60 ans de l’appel de l’abbé Pierre. J’ai écrit un mail ‘’Février 54 – Juillet 2014 : Mes amis au secours, nous avons besoin de vous’’, en reprenant l’appel de l’abbé pierre avec la liste des besoins. Et ça a été un clic magique ! Emmaüs France et Emmaüs International sont venus à la rentrée suivante et en décembre, ils organisaient la fameuse manifestation du mur de la honte ». Depuis ce jour-là, on a des groupes qui s’inscrivent et qui viennent presque chaque semaine. »
Une visite solidaire bien rodée
Pour Emmaüs Saint-Nazaire, c’est le premier convoi à Grande-Synthe. Une forme d’excitation et de complicité émane déjà de tout ce petit monde. Arrivés la veille, ils ont eu le temps de faire connaissance avec Sylvie et son équipe. Quelques petits mots amicaux fusent entre ces personnes qui ne se connaissaient pas hier mais qui, unis autour du même esprit solidaire, semblent appartenir à une même famille, comme le confirme Sylvie : « Quand une nouvelle communauté arrive, on se dit bonjour, on ne se connait pas trop, et le lendemain quand on se quitte, on est comme des cousins, ça c’est super ! »
Si Sandrine, Stéphane, Filimon et leurs camarades nazairiens sont là aujourd’hui, c’est en réponse au dernier appel lancé par Sylvie à l’automne, suite au naufrage dans lequel 27 personnes venaient de périr en essayant de traverser la Manche. « C’était important pour nous de venir. On avait envie d’être solidaires avec les migrants, et on a reçu récemment énormément de couverture d’un “village vacances” qui renouvelait tout son équipement. Ils nous en ont donné 750 ! Alors on s’est dit que c’était ici que ça serait utile », explique Pascal, bénévole. Mais pas le temps de traîner, Sylvie bat déjà le rappel pour le brief de la journée.
Le rituel est toujours le même. Sylvie installe ses convives dans la salle de réunion, et entame son brief. L’occasion pour elle de raconter l’histoire de ce territoire où les personnes exilées se retrouvent coincées depuis les années 80, avec une réponse publique qui n’a jamais été à la hauteur de façon durable, une multitude d’associations qui font comme elles peuvent, et « qui, lorsqu’elle se retirent un moment du calaisis, n’y reviennent jamais tant l’expérience est rude », raconte-t-elle. Un moment, aussi, où la grande jovialité qui la caractérise laisse parfois la place à une solennité empreinte d’émotion, à l’évocation de celles et ceux dont elle a parfois croisé le chemin et qui ont perdu la vie avant d’atteindre le Royaume-Uni.
Pendant ce temps-là, dans le réfectoire de la communauté, compagnes, compagnons et bénévoles s’affairent à la préparation du repas qui sera distribué en début d’après-midi sur un campement de Grande-Synthe. David, ancien compagnon venu d’Irak et devenu salarié, s’attaque à des bougies qu’il faut trier, pendant que Sylvie, une sœur bénévole venue de sa congrégation située à quelques kilomètres, coupe des morceaux de pain par dizaines avant de les glisser dans de grands sacs.
Un temps d’échange et de partage entre communautés
Au sortir du brief, l’ambiance est un peu moins à la fête. L’excitation du début de matinée a laissé place à une forme de gravité. Comme si la situation était devenue un peu plus concrète pour les invités du jour, qui n’ignoraient pourtant rien de la situation : « Ça m’a un peu secouée. On est tous touchés par ce qu’a raconté Sylvie. Même nous, en tant que bénévoles chez Emmaüs. On sait que ça existe, mais les médias en parlent peu, à part peut-être au moment du naufrage. Alors que c’est tous les jours » avoue Sandrine.
Après un déjeuner expédié en quatrième vitesse, Sylvie invite ses camarades à faire un petit tour du magasin situé au cœur de la communauté animée par l’activité traditionnelle de collecte et revente d’objets. Une visite en forme de petite respiration avant d’aller assurer la distribution.
C’est le moment pour les uns et les autres d’aller chercher de l’inspiration en termes d’organisation et d’aménagement, et de comparer les tarifs. Mais rapidement, la délégation est rattrapée par le plus urgent et, une fois n’est pas coutume, la voix de Sylvie se fait entendre au loin, qui rappelle ses troupes : il est l’heure de charger le camion des denrées qui seront offertes aux personnes exilées sur le campement.
Le camion à peine chargé, David explique le dispositif qui sera mis en place à l’arrivée : deux grandes tables au cul du camion, et chacun.e à un poste : de la distribution des couverts, jusqu’à la bouteille d’eau en bout de table.
Où la fermeté a supplanté l’humanité
Quelques minutes de trajet, et le convoi de camions arrive sur place. Ce jour-là, sur le campement, les personnes sont moins nombreuses que d’habitude selon Sylvie. Et pour cause, une quinzaine de cars de CRS s’est présentée aux aurores, la veille, pour procéder à son évacuation. Comme trop souvent, ils n’ont pas laissé aux personnes présentes le temps de récupérer leur matériel et leurs effets personnels. Le bruit court qu’un nombre important de personnes a réussi à passer du côté anglais la nuit précédente, mais d’autres ont évidemment échoué et sont revenus.
C’est un espace de désolation que découvre la délégation, en même temps que la file d’attente se forme derrière le camion. Malgré les sourires de certains, ce qui frappe est l’indécence de la situation. Là, dans un froid saisissant malgré le soleil généreux, un homme vêtu d’une veste légère « sûrement pas là depuis longtemps, c’est à ça qu’on le reconnait », explique Sylvie. Ici, un petit garçon qui n’a probablement pas plus de 5 ans et qui joue au foot dans la boue avec des chaussures trop petites pour lui.
Pendant que certains finissent la distribution, d’autres partent explorer le campement et discuter avec des militants associatifs présents sur place. L’occasion de mieux comprendre la réalité des conditions de vie ici, et la façon dont l’État agit réellement à l’encontre des valeurs de respect de la dignité humaine.
De son côté, Filimon, lui, a pris du recul. Installé dans le camion, il surplombe la fin de la distribution qui lui renvoie comme un miroir une expérience vécue. Arrivé d’Érythrée, il a vécu près d’un an à Calais. Devenu compagnon à Saint-Nazaire, il est heureux de pouvoir donner un coup de main : « J’ai vécu ce que vivent ces gens et je sais combien c’est difficile. C’est pour ça que j’étais heureux de pouvoir leur apporter des couvertures et de participer à leur donner à manger », explique-t-il.
Les derniers retardataires s’en sont allés avec de quoi tenir jusqu’à la prochaine distribution, et il faut déjà penser à repartir. Cette fois, la communauté invitée doit reprendre la route le jour même.
D’ordinaire, Sylvie aime bien quand les gens restent jusqu’au lendemain, « parce que si on veut que les groupes reviennent, c’est important qu’ils gardent un bon souvenir de leur passage ici, avec tout ce qu’ils ont vu dans la journée », avoue-t-elle. Elle, qui adore chanter et danser, aime aussi partager cela avec celles et ceux qui sont venus aider à aider.