Figurant parmi les lauréats de l’appel à projet « Agriculture et Alimentation Durable 2020 » d’Emmaüs France pour son projet de maraichage, l’association Le Village (Vaucluse) inaugurait récemment son atelier de transformation alimentaire. Approvisionné notamment avec les fruits et légumes collectés lors de ses actions de glanage solidaire auprès d’agriculteurs bio locaux, l’association prévoit la mise en vente de ses produits dans les prochaines semaines. Nous sommes allés à leur rencontre.
À quelques heures de l’inauguration, les effluves des préparations de légumes continuent de s’échapper du séchoir solaire, installé juste derrière les baies de la façade. De son côté, l’équipe de salariées en insertion s’affaire à conditionner les produits sous l’œil attentif de Bérengère, la doyenne de l’équipe avec ses 40 ans d’expérience en cuisine, en vue de la dégustation prévue après les discours « officiels ». Ce jour-là, c’est un peu la fête au Village.
Les recettes de « pétales de légumes » et autres « gelées de plantes aromatiques » sont au point depuis un an pour certaines, mais contexte sanitaire oblige, l’inauguration officielle avait été repoussée à plus tard. Désormais, il tenait à cœur à l’équipe du Village, situé à Cavaillon (Vaucluse), de « marquer le coup, parce que c’est un projet transversal auquel tout le monde a participé », explique Julien Donnat, encadrant technique de l’atelier de transformation.
Le glanage, une solution facile contre le gaspillage et la précarité alimentaire
Dans ce lieu d’accueil, de vie, d’hébergement et d’insertion, la question de l’alimentation est devenue un élément fondamental du projet, avec l’objectif de fournir à toutes et tous des produits locaux et de qualité. La situation géographique était idéale dans ce département très rural où la production agricole est importante, comme l’explique Anne Leymat, directrice adjointe : « Le Vaucluse est à la fois un vrai grenier avec une production agricole importante et beaucoup de gaspillage, mais aussi un département avec un taux de pauvreté élevé puisque c’est le 3e département le plus pauvre de France. »
C’est ainsi qu’est né le projet de glanage solidaire : après avoir patiemment gagné la confiance de quelques agriculteurs bio locaux, l’association a mis en place fin 2016 un système de cueillettes solidaires. L’idée ? Collecter des surplus de production de fruits et légumes considérés comme inadaptés à la vente et délaissés dans les champs.
Réalisées deux fois par semaine avec des résidents, des personnes reçues en accueil de jour ainsi qu’au centre d’accueil de demandeurs d’asile de Cavaillon, les actions de glanage solidaire « ont permis de collecter plus de 22 tonnes de fruits et légumes depuis 2017 », explique Sarah Lachenal, coordinatrice des cueillettes, qui estime qu’elles permettent de collecter environ 65% des produits restants dans les champs. Un chiffre qui donne une idée de l’ampleur du gisement : « Étant donné qu’on ne travaille qu’avec 16 agriculteurs pour l’instant, cela donne une idée du gaspillage alimentaire à l’échelle du département, et même du pays », insiste Anne Leymat.
Parmi la totalité des fruits et légumes récupérés par les équipes du Village, « 45 à 50% partent à l’atelier de transformation tandis que le reste est donné à la banque alimentaire ou consommé directement par les résidents, les salariés en insertion et les personnes des accueils de jour », précise Sarah Lachenal.
Un chantier d’insertion « projet-pilote » et innovant
Réalisé avec le soutien financier de l’État et de nombreux partenaires tels que Biocoop, Saint Gobain, AG2R et RTE, l’atelier a été réalisé par le Pôle écoconstruction du Village (chantier d’insertion) dans une démarche durable : l’équipe a utilisé un maximum de matériaux naturels et locaux (isolation en paille de riz de Camargue, structure bois, etc.) et dans l’optique de réduire au minimum son impact environnemental négatif.
Ouvert à l’automne 2020, ce projet innovant est ouvert sur l’extérieur et intégré dans les politiques publiques locales de lutte contre la précarité alimentaire, telles que le Projet Alimentaire Territorial du Luberon. Il vient aussi concrétiser une activité imaginée dès les premières cueillettes en 2016, comme le raconte Anne Leymat : « Dès le départ de la démarche, il y a eu la volonté de valoriser la production agricole via l’atelier de transformation. »
Le projet structuré, il restait à imaginer une gamme de produits permettant de se distinguer, sans pour autant faire de la concurrence aux producteurs locaux. C’est là que Julien Donnat est intervenu avec quelques salariées en insertion pour mettre au point des recettes originales. Aujourd’hui, c’est toute une gamme de produits (confiture pommes de terre vanille, pâte à tartiner banane chocolat, gelée de romarin, etc.) qui s’apprête à quitter l’atelier. Ils sont destinés pour partie aux rayons de magasins Biocoop et d’épiceries indépendantes des environs et, pour une autre, à être donnés via les réseaux d’aide alimentaire.
De quoi faire la fierté des salariées en insertion à l’image de Jordane, arrivée en juillet 2021 après une longue période de chômage : « J’ai appris toutes les étapes par lesquelles il faut passer pour réaliser un produit alimentaire qui sera vendu en magasin. C’est gratifiant de se dire qu’on travaille dans une équipe avec des gens qui ont tous connu des difficultés à un moment de leur vie, et qu’on s’investit aujourd’hui dans un projet éthique, avec des produits bio et locaux ». Une satisfaction perceptible chez chacune des membres de l’équipe, où la bonne humeur et la convivialité communicatives font espérer le meilleur pour la suite.
D’ici la fin du mois de novembre, l’atelier devrait enfin disposer d’étiquettes définitives pour ses produits, et en lancer la commercialisation. Mais déjà, l’équipe du Village pense à l’étape d’après. Pour Anne Leymat, présente depuis l’origine du projet, l’enjeu est notamment d’ouvrir ce chantier d’insertion innovant sur l’extérieur : « L’idée, c’est aussi que cet outil serve aux acteurs du territoire, aux lycées agricoles pour un support de stage ou de formation, à celles et ceux qui voudraient faire de la transformation alimentaire, y compris aux agriculteurs afin de leur montrer comment leurs produits peuvent être transformés. »
L’après, c’est aussi la construction d’une extension de l’atelier afin d’étendre la capacité de stockage et de continuer à s’équiper en matériel. Un projet que Julien Donnat voudrait voir se concrétiser rapidement : « On a déjà les plans, et une bonne partie du financement avec le plan de relance et certains financeurs de l’atelier. Maintenant, il faut réussir à avoir les équipes du Village pour construire le bâtiment, et vu leur carnet de commande, c’est pas gagné ! », s’amuse-t-il.
Espérée pour 2022, la construction de l’extension permettra à l’atelier d’atteindre son rythme de croisière et d’approvisionner dans un premier temps une vingtaine de magasins-tests.