Pour pallier la désertification des services publics et la fracture numérique dans sa région, le Comité d’Amis Emmaüs de Ruffec (Charente) a imaginé un dispositif inédit : EmmaBus. Cette remorque aménagée propose de rapprocher différents services des publics qui en sont éloignés. Lancée en juillet 2021, l’expérimentation a bel et bien trouvé son public, et EmmaBus poursuit sa route sur les terres charentaises.
« On nous demande souvent si on est là pour collecter des dons ! », s’amuse Johanna Ream, directrice adjointe du Comité d’Amis Emmaüs (CAE) de Ruffec, à l’évocation des premiers mois d’activité d’EmmaBus. Pourtant, il ne s’agit pas d’un traditionnel camion de ramasse d’objets, comme il en circule partout en France tous les jours. Celui-ci tracte en réalité une remorque aménagée, et sillonne les routes de Charente pour rapprocher les habitants de certaines « zones blanches » de services qui ont déserté le territoire.
Au croisement de la désertification des services et de l’illectronisme
Installé dans une région rurale, le CAE de Ruffec travaille de longue date à la question de la mobilité sur son territoire. Depuis 2009 et la création d’un service de location de mobylettes, l’association a développé une auto-école solidaire en 2017 – qui comprend désormais 3 antennes depuis septembre 2022 – et diversifié son parc de location qui comprend désormais des voiturettes électriques, des scooters et des voitures thermiques permis B, pour atteindre au total une trentaine de véhicules.
Malgré le développement de ce dispositif mobilité ambitieux, l’équipe a bien conscience de ne pas répondre à tous les besoins des habitants du territoire : « On s’est rendu compte que ça ne suffisait pas. On a vu les services publics s’éloigner de plus en plus et en parallèle, une montée en puissance du numérique et de la dématérialisation des démarches », précise Johanna. D’après une étude du Comité d’Amis, 43% des habitants du Pays Ruffecois déclarent effectivement être incapables d’effectuer leurs démarches en ligne. En outre, un quart de la population locale souffre de problèmes de mobilité et ne peut pas se déplacer à plus de 10 km quotidiennement.
C’est fort de ce constat que le CAE de Ruffec a imaginé un nouveau projet, en s’appuyant également sur l’expérience de terrain d’une conseillère mobilité, comme le raconte Johanna : « À l’époque, elle devait se déplacer pour rencontrer les gens mais n’avait pas de lieu d’accueil ». Émerge alors l’idée de disposer d’un service mobile. Au moment même où l’Etat met en place les « Espaces France Services », EmmaBus voit le jour, et pousse, en tant qu’Espace France Services mobile, la logique de proximité et d’aller un cran plus loin.
Un Espace France Services, c’est quoi ?
Les Espaces Frances Services sont des guichets uniques qui donnent accès dans un seul et même lieu aux principaux services publics (Trésor Public, Pôle Emploi, La Poste, CAF, CPAM, Assurance retraite, MSA, Agence nationale de l’habitat et ministères de l’Intérieur et de la Justice). Mis en place en 2019 par le Gouvernement, ces espaces ont vocation à contrecarrer les difficultés générées par la dématérialisation. Problème : ils ne sont pas facilement accessibles pour toutes et tous, notamment dans des territoires ruraux comme la région de Ruffec.
Un camion, une remorque : un accès aux droits
Notamment développé avec le soutien d’Emmaüs Innove, l’incubateur du Mouvement Emmaüs, EmmaBus a pour ambition de maximiser sa capacité à toucher les plus isolés. Il est conçu pour aller chercher les gens à leur porte : la remorque aménagée reste stationnée sur la place d’un des 8 villages de son parcours, tandis que le minibus qui la tracte peut sillonner les rues et les ruelles, et conduire les personnes qui en éprouvent le besoin jusqu’à la remorque.
En tant qu’Espace France Service, EmmaBus répond à des exigences imposées par l’Etat, qui prévoient qu’il doit circuler au moins 24 heures par semaine et 5 jours sur 7. Pour être bien identifié sur son territoire d’intervention, Emmabus s’installe en général les jours de marché pour augmenter sa visibilité, et bénéficie de l’image Emmaüs sur une activité souvent inattendue pour le grand public.
Après un an d’expérimentation, le comité de pilotage du projet se félicite d’un premier bilan très encourageant : près de 350 personnes ont été accompagnées, dont 70% sur la base de visites spontanées. Un chiffre « qui peut sembler modeste, mais qu’il faut voir à l’aune des processus souvent longs dans lesquels les personnes accompagnées s’inscrivent : beaucoup sont en rupture avec les services et cela nécessite souvent plusieurs rendez-vous pour les accompagner au bout de l’ensemble de leurs démarches », explique Johanna.
Dans les prochains mois, un 9e village devrait s’ajouter au parcours d’EmmaBus, pour aller rencontrer de nouveaux publics isolés et poursuivre sa mission solidaire d’accès aux droits.