Donnez une seconde vie aux objets Où donner ? Où acheter ?

Actualité / Agriculture

Hassane, Compagnon, et maraîcher par vocation

Hassane, Compagnon, et maraîcher par vocation

Ce matin de septembre, Hassane a laissé ses outils au vestiaire. Bien qu’il arbore sa tenue habituelle de Compagnon-maraîcher, il s’improvise guide d’un jour pour présenter le projet agroécologique de la Communauté d’Angers, « Graine d’Emmaüs ». A l’approche des premières terres cultivées, rien ne semble pouvoir lui faire perdre son fier sourire, pas même les visiteurs nocturnes qui ne cessent de le contrarier : « Ici, les sangliers ont arraché les patates douces. J’ai replanté, mais ils ont recommencé. J’ai fait ça 5 fois, puis on a arrêté », déplore Hassane, philosophe, en montrant du doigt la terre retournée.

Au milieu des 2,5 hectares de champs qui jouxtent le site de Saint-Jean-de-Linières, les terres maraichères concernées par le projet sont cultivées en agriculture biologique. Hassane, lui, semble ici comme dans son jardin, et déambule d’un pas convaincu en égrenant avec satisfaction la longue liste des productions locales : pommes de terre, poireaux, aubergines, tomates, poivrons, melon, pastèques, etc. Autant de légumes et de fruits, qui sont essentiellement destinés à approvisionner la cuisine de la Communauté, et permettent à celle-ci d’expérimenter la diversification d’activité.

La révélation du maraichage

Le projet a germé longtemps au sein de la Communauté avant de se concrétiser début 2020, avec le soutien d’Emmaüs Innove, l’incubateur d’innovations sociales du Mouvement. Dès les prémices, Hassane, tout juste arrivé à la Communauté, fait part de son intérêt : « J’ai dit tout de suite que ça m’intéressait, et dès le début je me suis engagé. Loïc* est parti en vacances et à son retour, j’avais déjà commencé à nettoyer le champ ! Puis après on a passé un mois à délimiter les parcelles », raconte-t-il. Sans formation particulière en la matière, Hassane s’investit pleinement dans le projet, stimulé par son expérience récente dans une famille d’accueil qui cultivait ses propres légumes. Lui n’avait jamais travaillé la terre, mais cette nouvelle aventure le renvoie aussi à son histoire d’enfant : « Mes parents sont agriculteurs, donc je connaissais un peu, mais c’est différent ici. Le système de plantation est beaucoup plus sophistiqué », poursuit-il, enthousiaste.

Hassane aux petits soins avec les pieds de tomates / Photo Jean-Yves Le Tetour

Depuis le semis des premières graines, le projet a continué de se développer et Hassane s’est pris de passion pour l’activité de maraichage. Au point d’y passer nuits et jours si les responsables de la Communauté ne lui rappelaient pas régulièrement de prendre aussi du temps pour lui. Cet engagement très fort dans Graines d’Emmaüs, ils sont nombreux à le constater, comme Didier, bénévole en soutien sur le maraichage : « Il se donne beaucoup Hassane. Surtout pendant la vacance du poste d’encadrant, il a beaucoup travaillé ! ». Comme lui, ils sont 5 à venir tous les mardis, pour prêter main forte. Entre eux et Hassane, la complicité semble évidente, et les souvenirs sont déjà nombreux : « Je me rappelle l’opération cailloux qui a consisté à enlever tous les gros cailloux qui restaient sur la parcelle. C’était en plein hiver et c’est gravé dans nos mémoires ! », raconte Didier tout en jetant un regard complice à Hassane.

L’engagement solidaire en fil rouge

À la satisfaction visible à son sourire, se mêle aussi ce léger embarras des gens sincèrement modestes, mais conscients du rôle qu’ils jouent au service du collectif. En la matière, Hassane connait son sujet. Depuis son arrivée du Tchad en 2018 – où il a dû laisser femme et enfants à la suite d’un conflit politique qui l’a contraint à fuir – il a connu les difficultés de nombreuses personnes demandeuses d’asile en France. Notamment l’absence de solutions de logement faute de place dans le Dispositif National d’Accueil, et les nuits à la rue.

Face aux grandes carences de l’État, des associations et des particuliers se mobilisent et construisent une chaine de solidarité indispensable. Hassane a trouvé de l’aide auprès de JRS Welcome, avant d’être hébergé par plusieurs familles d’accueil. Et comme s’il était déjà imprégné des valeurs Emmaüssienne, Hassane n’a pas attendu qu’on lui donne pour donner à son tour. Avant même d’avoir un toit au-dessus de sa tête, il s’implique dans des associations solidaires locales, comme le Secours Populaire. Usager régulier du 115 pendant quelques temps, c’est par ce biais qu’il découvre la Communauté de Saint-Jean-de-Linières où il vient faire du bénévolat, et fait la connaissance du responsable de l’époque. « Il m’avait donné son numéro de téléphone et j’avais très envie de trouver une place ici. Au point que je finissais par le déranger tous les jours », confie Hassane un peu gêné. Et la patience a payé.

La Communauté, entre lieu refuge et tremplin

Ces engagements passés, Hassane continue de les honorer : « Le lundi, je ne travaille pas sur l’activité maraichage, et je vais faire du bénévolat au Secours Populaire ». Peut-être une façon de ne pas oublier combien la solidarité est précieuse pour celles et ceux qui traversent des situations difficiles. Alors quand la Communauté a produit trop de légumes, comme ce fut le cas des poireaux l’année passée, il est heureux d’avoir pu en faire profiter les personnes dans le besoin, en fournissant la banque alimentaire locale en denrées issues de Graines d’Emmaüs.

Hassane a terminé le tour des terres agricoles, et poursuit par une visite de la Communauté. À chaque espace dans lequel il entre, il est salué et accueilli avec la même gentillesse par les membres de la Communauté. Il faut dire que le projet de maraichage a été un sujet de discussion important. A tel point que Mimi, croisée au détour du rayon textile et doyenne de la Communauté avec plus de 40 dans de bénévolat à son actif, ne l’a pas toujours vu d’un bon œil : « J’avoue qu’au début, j’étais un peu réticente au projet de maraichage, parce qu’on avait beaucoup de projets en même temps ». Mais finalement le projet a été mis en place, et l’enthousiasme communicatif d’Hassane n’y est peut-être pas pour rien.

Nicolas, encadrant technique en maraichage, et Hassane / Photo Jean-Yves Le Tetour

« Je ne suis là que depuis trois semaines, mais je peux déjà voir qu’Hassane est à fond sur l’activité maraichage ! », s’amuse Nicolas, nouvel encadrant technique en maraichage à la Communauté. C’est sur le binôme qu’il compose avec Hassane que repose désormais en grande partie la réussite de ce projet encore en cours de développement.

Après bientôt trois ans à travailler ces terres, Hassane est fier du travail accompli. Il regarde vers l’avenir, et tous les espoirs qu’il autorise : « J’aimerais passer une formation pour devenir moi aussi encadrant technique en maraichage, et trouver du travail. Pourquoi pas à la Communauté, ou sinon ailleurs ! » Et toujours, chevillée au cœur, l’espérance de faire cesser bientôt la douleur sourde, cachée derrière son sourire généreux, d’être si loin des siens.

* Ancien Compagnon devenu encadrant technique maraichage au lancement du projet