Dans le dernier épisode, le voyage se poursuit, pour découvrir comment accueillir dignement les familles migrantes en France au sein du centre d’accueil d’Emmaüs Solidarité à Ivry, comprendre l’immense enjeu de la précarité numérique avec Emmaüs Connect et imaginer des solutions pour demain depuis la Vallée de la Roya…
Episode 3 : partout où nécessité fait loi
Dans le troisième et dernière épisode d’Un autre monde nous terminons notre exploration de la fabrique à solutions qu’est Emmaüs en s’attardant sur des enjeux parmi les plus contemporains de notre société : l’accueil des exilés, la fracture numérique et l’alimentation.
Le voyage démarre à Ivry-sur-Seine, au Centre d’hébergement d’urgence pour migrants d’Emmaüs Solidarité. Ouvert en janvier 2017, il accueille des femmes, des familles et des couples d’exilés, qui viennent d’arriver en Ile-de-France. D’une capacité d’accueil d’environ 430 places, il propose un espace hors de l’urgence où les personnes ont du temps pour s’engager dans un parcours de reconstruction et d’autonomie.

Centre d’hébergement d’urgence pour migrants d’Emmaüs Solidarité à Ivry-sur-Seine
‘‘On ne connaît pas une crise des migrants mais une crise de l’accueil. ’’
>> Bruno Morel, directeur d’Emmaüs Solidarité
Une « école intégrée », unique en France, a également été créée à l’intérieur du centre d’hébergement pour scolariser rapidement les enfants accueillis, âgés de 6 à 16 ans. Actuellement, 45 enfants y sont scolarisés, dans quatre classes, pour quelques jours ou quelques mois. Les cours sont assurés par quatre professeurs volontaires, détachés par l’Education Nationale et un coordinateur pédagogique.
« L’objectif, c’est vraiment d’abord la socialisation, la stabilisation, c’est-à-dire qu’ils puissent être en sécurité ici, qu’ils puissent se sentir bien dans l’école, qu’ils aient envie d’apprendre, on développe énormément leur appétence à tout ce qui est connaissance et là, dès qu’on fait ça, en fait, on a gagné. »
>> Stéphane Parroux, coordinateur
Emmaüs œuvre à rendre visible les invisibles. A faire entendre la « voix des sans voix » comme le disait l’abbé Pierre. A lutter contre les précarités même les moins connues. Celles qui sont latentes et qui pourtant stigmatisent et privent certaines personnes de leurs droits. La précarité numérique par exemple. L’extrême étendue de la fracture numérique a été rendue plus visible par le premier confinement, en mars 2020. Aujourd’hui, 8 millions de personnes n’ont pas accès à des outils numériques et 13 millions ne savent pas ou pas bien s’en servir. Emmaüs Connect lutte contre cette précarité depuis sa création, en 2013.

Emmaüs Connect Lyon
« Aujourd’hui, on se rend compte que, à peu près tout ce qu’on fait, toutes nos activités, qu’elles soient professionnelles, que ce soit le loisir, les transports, la consommation, tout ça passe par le numérique, par Internet, le smartphone… Ce qui facilite considérablement nos vies quand on sait se servir de cet outil formidable qu’est le numérique ! En revanche, quand on ne sait pas s’en servir ou qu’on n’y a pas accès, ça peut être vraiment problématique… et en l’occurrence, ça concerne plutôt des personnes qui sont en précarité également sociale. »
>> Inès Gandon, responsable Île-de-France d’Emmaüs Connect.
Pour Emmaüs Connect, les nouvelles technologies doivent devenir un levier d’insertion et non rester un facteur d’exclusion. Convaincue que le numérique doit être une opportunité pour tous, l’association développe des programmes d’accompagnement dans ses points d’accueil et des formations dans des centres sociaux.
« Le but, c’est de démystifier cet outil et montrer aussi qu’Internet, ce n’est pas que les réseaux sociaux mais c’est une immense source d’information. C’est une immense source de documentation et c’est une porte ouverte sur l’extérieur. »
>> Azzedine Darmouli, bénévole à Emmaüs Connect
Face à la dématérialisation des services de premières nécessités, particulièrement étendue depuis le début de la pandémie, et aux inégalités engendrées par l’enseignement scolaire à distance, Emmaüs Connect a lancé une opération de distribution d’équipements informatiques et de moyens de connexion, pour aider les jeunes en décrochage scolaire et les publics en grande précarité. Entre mars 2020 et mars 2021, 41 000 personnes ont été accompagnées.
Pour que le numérique soit aussi à la portée des budgets les plus modestes, Emmaüs Connect propose également des recharges prépayées (téléphonie et internet) à prix solidaires.
Alors que notre voyage au cœur du mouvement Emmaüs touche à sa fin, Pina Wood marque une dernière étape. Dans les montagnes, dans la Vallée de la Roya, pour discuter avec Cédric Herrou, qui a récemment fondé la première communauté Emmaüs exclusivement paysanne.
En 2016, Cédric Herrou vient en aide à des milliers d’exilés franchissant la frontière franco-italienne, à quelques kilomètres de chez lui, transformant sa ferme en lieu d’accueil… Son combat lui a valu de nombreuses arrestations, les autorités invoquant le « délit de solidarité » qui sera remis en question, grâce à lui, par le Conseil Constitutionnel. En février 2021, sa relaxe est confirmée par la Cour de Cassation, décision qui consacre définitivement le principe de fraternité.
La communauté qu’il a fondée, Emmaüs Roya, accueille aujourd’hui six compagnes et compagnons, qui exercent des activités de maraîchage, d’oléiculture et d’aviculture, et vivent de la vente de leurs produits agricoles. Cette nouvelle communauté Emmaüs dans la vallée de la Roya, conjuguant solidarité et écologie, est une réponse concrète à l’exclusion, à la crise environnementale, et aux politiques migratoires irresponsables.
Cédric Herrou nous a raconté son engagement et partagé ses solutions pour créer une société plus solidaire…

Cédric Herrou, Emmaüs La Roya, (Photo : Pierre Faure)
« Souvent on entend parler d’écologie, d’agroécologie. Les personnes qui ont la nécessité de trouver une alternative à ce qu’on vit aujourd’hui sur le réchauffement climatique, sur tout ce qu’on entend tous les jours à la radio, à la télé…c’est les précaires. C’est les précaires qui seront les premières victimes et c’est les précaires qui ont le devoir d’agir. Je pense que l’alternative pourra naître des gens dans la précarité. Et je crois que c’est le moment de se mettre à l’action et de réinventer des petits mondes »
« Je pense que s’il y avait un nouvel abbé Pierre aujourd’hui, ben le mec serait en prison, c’est évident. »
>> Cédric Herrou
Notre voyage s’arrête ici. Dans une vallée à la frontière franco-italienne où un jour, la détresse d’hommes et de femmes en a poussé d’autres à se mettre à l’action. Par solidarité, par fraternité, par nécessité.
Et « partout où nécessité fait loi », Emmaüs continuera à agir.
On espère que cette exploration vous a plu, qu’elle vous a fait découvrir cet autre monde que les acteurs d’Emmaüs fabriquent au quotidien et qui sait, qu’elle vous aura donné envie de nous rejoindre ?
Un autre monde est disponible sur toutes les plateformes de podcast.
REMERCIEMENTS
Un grand merci à Vincent Sabourin et Laura Borrego d’Emmaüs Solidarité, Arnaud Jardin d’Emmaüs Connect et Cédric Herrou d’Emmaüs Roya d’avoir rendu possible cette aventure ! Merci également à toutes les personnes qui ont témoigné dans ce dernier épisode : Corentin, Stéphane, Bruno, Inès et Azzedine. Merci enfin à Emmaüs International et aux Archives Nationales du Monde du Travail pour les extraits audio.
Production Studio Ground Control ; direction éditoriale : Mathilde Girault ; production et écriture : Laura Eisenstein ; réalisation et mix : Frédéric Haury ; voix-off : Pina Wood ; Identité graphique : Rose Bernard.
Crédits audio : Abbé Pierre ©Emmaüs international, légataire universel de l’abbé Pierre. Les documents reproduits sont issus des archives de l’abbé Pierre et d’Emmaüs International déposées aux Archives Nationales du Monde du Travail à Roubaix (France).